Entretien avec Catriona Raboutet
Responsable Pôle Territoires et Usages à Télésanté Aquitaine
Le GCS TSA (TéléSanté Aquitaine) a été créé fin 2002 afin de définir en région les besoins du secteur de la santé en matière d’échange d’information et de partage de compétence. Un premier bouquet de services e-santé est proposé aux professionnels de santé et aux citoyens aquitains dès 2004. Aujourd’hui porteur de l’ENRS, TSA est l’un des pionniers dans le déploiement des grands projets nationaux.
Comment définiriez-vous l’innovation de manière générale ? Quelles sont les spécificités de l’innovation en santé ?
L’innovation se concrétise dans sa nouveauté. C’est un changement qui doit aussi se traduire dans un usage fort au quotidien. L’innovation doit avant tout être très utile et pratique pour les acteurs (bénéficiaires, usagers, utilisateurs).
A priori l’innovation en santé est similaire à l’innovation dans les autres secteurs. Elle suit les mêmes processus, elle a les mêmes caractéristiques. On distingue de la même manière, les innovations autour du produit, des protocoles, des diagnostics, les innovations dans l’organisation ou même dans la façon d’introduire le produit dans un contexte donné. L’innovation en santé est donc confrontée aux mêmes types de problématiques.
Quels sont les freins majeurs à l’innovation en santé ? Comment l’innovation en santé peut-elle être favorisée ?
Aujourd’hui les freins majeurs à l’innovation en santé ne sont pas forcément que sur les produits, bien que les contextes réglementaires de la santé soient assez contraignants pour imposer des pre-requis techniques, fonctionnels ou organisationnels parfois assez lourds. L’acculturation peut aussi poser problème. En effet, tout changement apporte du nouveau dans un cadre et un contexte établis. Il faut donc que le changement induit par l’innovation soit accepté. Si ce changement n’est pas accepté et intégré dans les pratiques cela reste une invention qui n’est pas diffusée. L’innovation réussie est celle qui entre dans des pratiques quotidiennes des acteurs. Selon moi, plus une innovation s’inscrit dans le quotidien, plus elle est réussie.
Pour cela, il y a deux temps importants pouvant favoriser l’innovation réussie en santé : d’abord la préparation du terrain (des acteurs, des organisations, etc.), avec les notions d’accompagnement au changement et d’identification des besoins, et dans un second temps, l’accompagnement de l’appropriation (de l’objet innovant) par les acteurs et par leurs organisations. Le suivi et l’analyse des usages pressentis et des usages développés face au changement induit sont également très importants dans le processus d’accompagnement de l’innovation car ils permettent de qualifier l’impact de l’innovation et d’identifier et d’apprécier les véritables usages innovants mis en place.
Plus une innovation est largement diffusée, plus elle profite à l’ensemble de la société. Pourtant, nombre de porteurs de projets se refusent à laisser leur travail leur échapper. Comment protéger l’innovation sans pour autant la restreindre ?
L’innovation est très souvent associée aux problématiques de business, marketing, commerce, etc. puisqu’elle est souvent portée par des entreprises. L’innovation est certainement à distinguer de l’invention. L’invention peut se caractériser par exemple par un dépôt de brevet. L’entreprise protège ainsi ses droits d’utilisation et peut continuer son activité. Dès lors que l’invention a pour vocation d’être contextualisée et être utilisée voir généralisée, elle devient alors une innovation dont le lancement et la mise en place devient pour le porteur un processus de réalisation plus long et plus coûteux avec certainement de gros enjeux économiques. De ce fait, beaucoup plus que l’invention, l’innovation peut ainsi être fortement liée à la vie et au devenir de l’entreprise. Il est donc normal que le porteur de projet garde son innovation jusqu’à sa commercialisation et cherche à rester maître du premier marché à traiter. Mais il est vrai que pour sa réussite, il est également naturel que l’innovation se diffuse et se diffuse vite. Une des difficultés de l’innovation est certainement ce jeu entrepreneuriat qui consiste à faire que le produit soit à la fois protégé, rentable et diffusé. Il y a certainement un moment propice dans le cycle de construction et de vie de l’innovation qui ne faut pas manquer, mais je ne suis pas suffisamment spécialiste du domaine pour pouvoir en discuter.
Y-a-t-il des secteurs de la santé dans lesquels l’innovation devrait être plus particulièrement recherchée ?
Aujourd’hui, l’accent est mis sur l’innovation organisationnelle, c’est à dire sur une organisation innovante de notre système de santé qui puisse répondre à toutes les questions : de l’intégration des nouvelles pratiques et des nouveaux actes, à leurs modalités de rémunération, de qui fait quoi, comment, avec quels outils etc. On est déjà très attentif à ce type d’innovation. Le chemin semble pour autant encore très long.
Concernant l’innovation de produits, il y a certainement encore à faire du côté des technologies (avec la télémédecine notamment) et avec tout ce qui relève de la communication autour du patient et avec le patient. Les champs de l’innovation sont assez dynamiques et proposent aujourd’hui des choses très intéressantes, reste à ne pas négliger à nouveau les facteurs leviers tels que l’accompagnement et la conduite au changement .
Qui sont les principaux acteurs de l’innovation en santé ?
Pour moi, tous les acteurs de la santé au sens large prennent part au processus d’innovation. Selon la maturité de l’innovation, les acteurs principaux sont différents. Il y a par exemple les acteurs qui expriment ou identifient des manques et des besoins ; en général, se sont souvent les bénéficiaires de l’innovation, c’est-à-dire les professionnels de santé ou les patients. Il y a aussi les acteurs qui fabriquent l’objet de cette innovation qui cherchent le juste équilibre financier (ex. les éditeurs, les industriels). Il y a enfin les acteurs institutionnels pour les innovations financières et organisationnelles en recherche de rentabilité de système de santé et de performance. L’innovation a un impact à tous les niveaux et se décide aussi certainement à tous les niveaux.
Le secteur de la santé se caractérise généralement par une certaine rigidité, du fait de sa nature très académique. Comment sont accueillies les innovations de manière générale ?
Dans le cadre de mon expérience en e-santé (les technologies informatiques de la communication appliquées à la santé), il est vrai que c’est généralement une minorité d’acteurs qui donne un accueil très favorable aux nouveautés sous toutes leurs formes d’autant plus quand ces innovations portent sur des pratiques ou des protocoles métier précis. Se sont des acteurs un peu avant-gardistes, toujours prêts à tester les nouvelles technologies parce qu’ils sont à l’aise avec ces technologies. Ces acteurs sont généralement en amont de phase pour aider à définir si c’est pertinent ou non. Mais ils sont peu nombreux et pas forcément représentatifs de la majorité des acteurs du terrain. La majorité est plutôt attentiste voire réfractaire, du moins dans le premier temps, si on ne travaille pas avec eux l’accompagnement au changement. Ne pas oublier qu’une innovation doit être accompagner pour pouvoir avoir le privilège de détrôner le quotidien. Exception faîte si l’innovation apparaît dans un domaine où il y a un grand manque reconnu et fortement attendu (par exemple, les médecins se sont montrés très enthousiastes face aux éditeurs de messageries sécurisée qui permettaient aux laboratoires d’envoyer les résultats directement dans leurs boîtes mail) ou si l’innovation en question repose sur des pratiques simples et quotidiennes largement généralisées hors du contexte métier (par ex. l’utilisation des fonctionnalités (sms, photos) des téléphones mobiles pour des nouveaux échanges et nouveaux actes entre professionnels. Au contraire, si l’innovation apparaît dans un domaine où il y a des manques mais qui ne sont pas reconnus suffisamment problématiques par les bénéficiaires ; ces derniers préfèrent ne pas modifier leurs pratiques et l’innovation est alors perçue de façon plus réservée, voire sceptique. Il faudra ainsi d’autant plus les accompagner.
Comment évaluer l’innovation en santé ?
L’innovation s’évalue à son degré de réussite, c’est-à-dire à sa capacité à s’intégrer dans le quotidien des bénéficiaires et à s’adapter au mieux à leurs pratiques. Une innovation aujourd’hui, surtout en santé, doit permettre au moins de rendre des services et des performances égaux à ce qu’il y avait avant. Le gain par exemple peut être dans le temps gagné, dans le coût, dans la qualité, dans la volumétrie etc. Pour évaluer l’innovation en santé, il faut donc être en capacité de mesurer régulièrement les performances du métier, l’impact sur les organisations, avec des critères médico-économiques.
Pour finir, auriez-vous un mot à dire sur l’innovation en santé en Aquitaine ?
Dans le domaine de la e-santé, nous sommes dans une région qui a un fort potentiel innovant grâce à l’implication de la Région et du Cluster et à la présence de nombreux industriels avec un esprit fédérateur. Nous disposons donc d’une dynamique riche en termes de potentiel d’innovation. De plus nous avons la chance d’avoir des acteurs institutionnels fortement impliqués dans cette dynamique. La question qui se posera toujours est celle du marché et des raisons pour lesquelles certaines innovations fonctionnent et d’autres non.
Pour conclure je dirais que les innovations en santé doivent s’accompagner d’innovations organisationnelles et technologiques simples qui vont progressivement faire changer l’organisation sans pour autant modifier drastiquement le quotidien des acteurs, s’appuyer davantage sur la transposition d’outils du quotidien qui modifient les façons de voir plus que les manières de faire.