Entretien avec Solange Ménival

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Vice-présidente du Conseil Régional d’Aquitaine, en charge de la Santé et des Formations Sanitaires et Sociales, Madame Ménival est également Vice Présidente de la Commission Santé de l’Association des Régions de France, Présidente du Réseau ENRICH (réseau européen des régions pour améliorer la santé du citoyens), Présidente de l’Institut de Santé Publique d’Epidémiologie et de Développement (ISPED) de l’Universitéde Bordeaux 2 et Présidente de la Conférence de Territoire de la Gironde.

 

Comment définiriez-vous l’innovation de manière générale, plus spécifiquement, l’innovation en santé ?

A mon sens, l’innovation doit permettre un progrès dans les organisations comme dans les technologies. Ce progrès doit apporter ensuite une plus-value dans les réponses attendues par les citoyens et dans les organisations elles-mêmes. L’innovation en santé est très large. Elle doit permettre d’améliorer la santé et pour cela elle est la synthèse de tout un processus et la mise en place d’une chaine de valeurs qui aboutit à un progrès technologique, social, économique et scientifique.

Dans le domaine de la santé, les spécificités sont très nombreuses. Les innovations obéissent à un processus particulier : ce sont souvent des innovations technologiques qui vont transformer les organisations et permettre ainsi l’émergence d’innovations sociales et, au-delà même, professionnelles. Par exemple, le décloisonnement entre les professionnels et la fluidification de l’information sont aujourd’hui au cœur des réponses thérapeutiques. Ce processus fait partie de l’amélioration des réponses en santé.

Concernant les organisations sanitaires, sociales et médico-sociales du territoire aquitain, je dirais que les innovations sont principalement organisationnelles et technologiques.

Quels sont, pour vous, les freins majeurs à l’innovation en santé et comment pourrait-elle être favorisée?

Prenons l’exemple des innovations de soins rendus aux patients en prenant le terme «soins» dans son sens le plus large de «santé», c’est-à-dire le «care» et le «cure» car le soin ne recouvre pas uniquement l’approche médicamenteuse, mais peut être aussi une parole, une présence. Les freins à l’innovation aujourd’hui sont d’abord financiers. Mais ce sont également des freins organisationnels et, plus particulièrement, de cloisonnement, favorisés par des comportements culturels et corporatistes. Il faut transformer l’approche cloisonnée en une approche concertée de co-construction d’une réponse globale de santé. C’est là qu’interviennent les innovations technologiques qui, aujourd’hui, permettent le transfert d’informations, de thérapeutiques alors que ce n’était pas possible il y a quelques années.

Comment favoriser l’innovation tout en protégeant son porteur ?

Certains pays sont en capacité de travailler ensemble et de se protéger en même temps. Au niveau de la recherche, les Américains et les Israéliens sont très en avance à ce sujet. En France, ce n’est pas dans notre culture, nous avons plutôt tendance à vouloir nous protéger et c’est un frein majeur à l’innovation : nous faisons du chacun pour soi. C’est très dommageable pour l’économie française.

 

Qui sont les principaux acteurs de l’innovation en santé ?

Aujourd’hui, l’innovation en santé est essentiellement visible au travers des grandes découvertes. On fait un titre dans les médias d’une transplantation cardiaque par exemple. En ce sens, ce sont les chercheurs qui sont les principaux acteurs de l’innovation en santé.

Mais il y a, on le sait, des innovations aujourd’hui moins flambantes qui apportent pourtant un réel soutien et une réelle plus-value thérapeutique. Ces innovations se font dans les nouvelles organisations et dans le parcours de soin du patient. Elles incluent à la fois une haute technologie thérapeutique et une attention à la personne. Et c’est là qu’il y a vraiment des progrès à faire. Nous ne pouvons pas considérer un être humain uniquement à partir de sa pathologie : il doit être perçu dans sa globalité y compris sociale. Or ce n’est pas une pratique courante. Nous savons pourtant aujourd’hui que l’approche sociale est primordiale car le système sanitaire est embolisé par les problèmes à caractère sociaux non résolus.

L’innovation, aujourd’hui, c’est donc l’affaire de tout le monde et de tous les professionnels. Les professionnels qui sont attachés à faire mieux dans leur travail doivent être encouragés car ce sont souvent eux qui sont en capacité de trouver les meilleures formules et les meilleurs outils adaptés à leur formation professionnelle et à leur sensibilité.

Ce qui va donc réellement favoriser l’innovation c’est que les puissances publiques mettent à disposition de ces professionnels un cadre, des outils. Mais se sont eux qui doivent construire les réponses. On doit donc avoir une stratégie qui doit avoir une approche bottom-up c’est-à-dire de mise en valeur de l’initiative locale grâce à la mise à disposition d’un cadre et d’outils nationaux et régionaux.

L’innovation est souvent difficile à délimiter et évaluer. Comment procéder ?

Aux résultats. Pour cela, il faut être en capacité de poser des indicateurs de santé publique. Il faut se doter d’objectifs de santé publique et il faut pouvoir suivre les résultats grâce aux nouvelles technologies et à des questionnaires adaptés. Pour cela, il faut avoir une approche populationnelle qui ne soit pas simplement cantonnée aux pathologies mais croisée avec une analyse des territoires. Un grand chantier de mise en place d’indicateurs est nécessaire et doit être réalisé avec des chercheurs comme ceux de l’ISPED de Bordeaux.

Pour finir, auriez-vous un mot à dire sur l’innovation en santé en Aquitaine ?

En Aquitaine, nous avons la chance de voir les acteurs travailler ensemble. De ce point de vue, nous sommes en avance. Pour être Présidente du réseau européen des régions sur la santé (réseau ENRICH), je peux dire que nous nous rapprochons des modèles européens qui ont déjà très largement entamé tous ces décloisonnements au point de confier aux régions les organisations en santé à la fois politiques et institutionnelles.

Actuellement l’ARS fait partie du cluster TIC santé, le Conseil Régional travaille avec elle sur des projets d’innovation et nous constituons des équipes communes pour répondre à des appels à projet (territoire de santé, projet européen Knowledge Innovation Community sur le vieillissement…) . C’est une véritable force pour l’Aquitaine de voir que les acteurs de santé se parlent et sont ensemble sur des projets.L’Aquitaine est ainsi une région où non seulement le Conseil Régional consacre le plus d’argent par habitant à l’innovation en santé mais en même temps organise des coopérations et des décloisonnements entre les chercheurs, les industriels, les utilisateurs et, évidemment, l’opérateur en charge des opérations de santé qu’est l’ARS.

Je forme le vœu que les ARS aient des pouvoirs beaucoup plus étendus pour promouvoir l’innovation et que les Conseils Régionaux leur soient associés et les soutiennent.