Entretien avec Michel Laforcade

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Michel Laforcade est directeur général de l’Agence Régionale de Santé Nouvelle-Aquitaine depuis 2012, après avoir assuré entre autres les fonctions de directeur départemental des affaires sanitaires et sociales des Landes et de Dordogne et de secrétaire général de la direction régionale des affaires sanitaires et sociales d’Aquitaine.

L’Agence Régionale de Santé est chargée de trois missions majeures : développer la politique de santé publique, assurer la veille et gérer les urgences sanitaires et enfin, réguler et garantir l’efficacité de l’offre de soins et médico-sociale.

Comment définiriez-vous l’innovation de manière générale ?

L’innovation répond à deux critères principaux : premièrement, l’innovation c’est ce qui ne se faisait pas jusque-là et, deuxièmement, c’est ce qui répond un besoin. En effet, qu’une action ne se fasse pas déjà n’est pas suffisant pour être qualifiée d’innovante selon moi. Il faut également trouver des critères permettant de dire que cela répond à un besoin.

Quels sont les freins majeurs à l’innovation en santé ? Comment l’innovation en santé peut-elle être favorisée ?

L’innovation en santé peut d’abord être favorisée par la contrainte financière mais cela n’est pas propre à l’innovation en santé. La contrainte est mère d’innovations : pour changer, il faut être sous la contrainte. Ensuite, il faut en avoir envie, mais ce critère est difficile à susciter. Et, enfin, il faut que cela corresponde aussi aux valeurs de celui qui innove. Ces trois dynamiques doivent être utilisées : l’innovation dépend en effet à la fois des gens, du moment et du contexte.

Y-a-t-il des secteurs dans lesquels les efforts consacrés à l’innovation devraient être particulièrement importants?

Dans les secteurs où l’innovation est très active comme dans tout ce qui concerne la technologie ou l’équipement lourd, les structures n’ont pas besoin de l’Agence Régionale de Santé. Par contre, le médico-social est le secteur sur lequel nous devons concentrer nos efforts en aidant les acteurs qui innovent à faire connaître leurs actions. Nous devons notamment être particulièrement attentifs aux domaines de la prévention et de la santé publique.

Qui sont les principaux acteurs de l’innovation en santé ?

Selon moi, les principaux acteurs de l’innovation en santé sont les professionnels même. En tout cas, ce serait la situation idéale car ce sont eux qui sont les plus à même de s’interroger sur les besoins.

D’autres acteurs auxquels nous ne pensons pas assez souvent sont les usagers. Les réseaux ville hôpital sont l’une des plus belles innovations depuis vingt-cinq ans, or ils ont été portés par les usagers. Les usagers disent des choses très simples, encore faut-il l’entendre. Cependant cela demande un changement culturel et idéologique. Il faudrait créer les conditions pour qu’ils aient la parole et pour qu’ils soient écoutés : généraliser les enquêtes de satisfaction, mettre en place des conseils de surveillance une fois par an avec un ordre du jour fait par les usagers, des forums, de véritables conseils de la vie sociale… La technique est simple quand on en a envie.

Le secteur de la santé se caractérise généralement par une certaine rigidité, du fait de sa nature très académique. Comment sont accueillies les innovations de manière générale ?

Il faut commencer par rappeler que le secteur de la santé est très vaste et qu’il y a donc plusieurs postures vis-à-vis de l’innovation. Sur l’aspect technique par exemple, non seulement les acteurs n’accueillent pas les innovations avec rigidité mais ils aspirent même à être en pointe, à tel point que dans certains domaines l’innovation est presque devenue maitresse auto-proclamée du changement : il faut, par exemple, toujours changer le matériel, sans que l’on ait forcément une évaluation de la valeur ajoutée.

Par contre, sur l’angle mort des pratiques et de la réflexion, du prendre soin et de la santé publique, les acteurs ne sont pas spécialement demandeurs, et cela pour des raisons culturelles. C’est donc à nous de faire en sorte qu’ils le deviennent.

Les établissements « à la pointe de l’innovation » sont souvent très bien perçus par l’ensemble de la société. Comment expliquer pourtant que de nombreux professionnels soient réticents au changement ?

Les explications de la résistance au changement sont les mêmes que dans les autres secteurs. Dans certains domaines les acteurs résistent de manière inopportune pour préserver leur tranquillité, leurs habitudes…. Mais ce n’est pas pathologique. Il y a beaucoup de parenté avec le monde de l’enseignement : pour penser librement, il faut sortir de la pensée collective. L’objectif est donc de démontrer aux gens que d’autres manières de voir les choses sont possibles, et donc d’autres manières d’agir. Bien souvent, l’action elle-même est plus porteuse que le discours. Amener les acteurs à se dire : «Tiens ils l’ont fait donc c’est possible », c’est vraiment le but de cet observatoire.

Comment évaluer l’innovation en santé ?

L’évaluation est un gage d’innovation car l’innovation doit être évaluée positivement comme répondant à un besoin sinon c’est innover pour innover. Nous en revenons ainsi aux critères initiaux de définition de l’innovation. Étymologiquement, l’innovation, c’est ce qui est nouveau mais cela peut être nouveau depuis cinq ans, dix ans, vingt ans, trente ans… En réalité, c’est assez rare qu’une action innovante soit totalement nouvelle : c’est très souvent la redécouverte de choses anciennes dont on a soudain le bon goût de se souvenir car elles répondent à un besoin. L’innovation est ainsi rarement un effort conceptuel, c’est plus un travail de mémoire, la capacité à l’autocritique, à dire quels sont les besoins auxquels je ne réponds pas en tant qu’acteur et de comprendre quels mauvais prétextes justifient cette lacune. Par exemple, l’accueil de jour itinérant mis en place par certains acteurs n’a rien d’extraordinaire mais cela répond à un besoin simple : celui des difficultés de déplacement.

Pour finir, auriez-vous un mot à dire sur l’innovation en santé en Aquitaine ?

La spécificité de la Nouvelle-Aquitaine est peut-être l’appétence forte pour l’innovation technologique, grâce à la mobilisation importante de l’université et de la Région. Il est cependant nécessaire de réfléchir désormais à la possibilité de mettre ces outils au service de l’innovation des pratiques.

Une autre spécificité, selon moi, est que globalement, la Nouvelle-Aquitaine dispose de moyens et d’une offre de soins relativement importants. Après avoir passé trois ans dans une région moins favorisée, je perçois bien l’impact de la contrainte financière sur l’innovation et sur le travail en réseau des acteurs. Nous avons ainsi bien souvent une approche trop économique de l’innovation au lieu de se concentrer sur une approche de développement social. Pour favoriser ce changement, outre la mise en place d’outils comme cet observatoire, il ne faut pas hésiter à utiliser toutes les méthodes persuasives et coercitives. Chaque année, l’ARS prélève ainsi de l’argent sur les établissements dont elle conditionne le retour à la mise en place d’actions pour les forcer à avoir des projets innovants.